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Aujourd’hui sur un coup de tête j’ai décidé d’écrire un journal

Par 
ALEMANNO Maria
Texte recueilli par Patrizia Gabrielli
Texte établi, présenté et annoté par Patrizia Gabrielli
Relecture Maud Chatelain

Maria Alemanno est née à Venise en 1900 et décédée en 1988. Elle a obtenu le diplôme du baccalauréat. Pendant la guerre, elle se trouve à Florence alors que son compagnon, Nando, est loin d’elle, dans une prison allemande. Le journal dactylographié est arrivé à l’Archivio Diaristico Nazionale de Pieve Santo Stefano le 6 août 1990.

Samedi, 11 septembre 1943, 16 heures

Comme cela arrive toujours quand les événements prennent une tournure tragique, nous sommes tous excessivement impressionnés. Ada aussi a dû revenir sur la joie éphémère qu’elle a éprouvée dans un premier temps et convenir que le remède est pire que le mal. Depuis hier déjà la rumeur courait que des convois allemands étaient en route pour Florence, nous avions imaginé qu’au moment de l’invasion, ils nous préviendraient pour nous laisser le temps de nous réfugier chez nous, mais on pense toujours à des choses qui n’arrivent jamais : les Allemands sont entrés calmement et tranquillement, et ont pris possession de la ville sans que rien ne se passe, c’est peut-être mieux comme ça1Florence est sous l’occupation de l’armée allemande le 11 septembre 1943.  !

Bien sûr, ça a été impressionnant quand même. Ici en centre-ville, ils n’en savaient rien et vers 11 heures ce matin, ma sœur m’a téléphoné pour me dire de rentrer tout de suite chez moi parce que les Allemands avaient installé à San Marco le siège de l’état-major. J’avoue, mon cœur a fait un bond car ayant eu connaissance des conflits qui ont eu lieu dans les autres villes, je m’attendais à quelque chose de similaire à Florence. Mais les Florentins sont de bons, de pauvres diables, et ils prennent tout avec philosophie.

Nous avons fermé très vite ; pour éviter trop d’émotions, j’ai pris un tram qui pouvait me déposer près de chez moi sans passer par la Piazza San Marco. Pour le moment nous avons peur d’eux, et notre peur n’est peut-être pas infondée.

Et lui ?? C’est là une pensée obsédante, pénible, qui ne me quitte jamais. Qu’est-ce qui va se passer là-bas ?? J’ai continué à écrire ces derniers jours, avec un infime espoir que quelque chose puisse se passer, mais je comprends que ce ne sont que de vaines illusions.

En cette période angoissante, je m’inquiète pour tout : la maison, maman, vieille et souffrante comme elle est, qui aurait besoin de calme et de repos, et que j’essaye d’aider comme je peux.

Et lui ?? Reviendra-t-il comme tant d’autres ? Trop loin ! Trop de route à parcourir, mais au fond de mon cœur, je garde ce grand espoir. Que va-t-il se passer à présent ?

Dimanche, 12 septembre 1943, 12 heures

J’ai vu pour la première fois les Allemands, pas comme tous ceux que j’avais vus jusqu’à présent, mais dans leur rôle abominable d’envahisseurs et de maîtres. Je comprends qu’on puisse les détester, qu’on les ait trahis ou non, que ça personne ne peut nous le dire parce que la vérité, qui peut savoir où elle est. Ce sont des ennemis qui ont pris possession de notre belle ville.

Et ici tout est calme, mais on entend parler de vrais combats dans d’autres villes. Pour mon âme patriotique, ça aurait aussi été bien pour Florence, mais c’est sûrement mieux comme ça. Ce matin je suis venue jeter un coup d’œil à mon atelier. Je suis préoccupée si je ne passe pas au moins une heure par jour ici2Maria Alemanno indique avec l’adverbe « ici » le lieu où elle se trouve (l’atelier) chaque fois qu’elle écrit son journal. : je m’inquiète, non pour le travail qu’il n’y a pas, aujourd’hui il faut tenir le coup, mais pour tout ce qu’il y a de tragique dans l’air.

J’ai mis un cadenas à la porte. Ça ne change pas grand chose, mais je suis plus tranquille.

C’est une journée magnifique, c’est vrai qu’en venant à pied pour ne pas passer par le centre-ville, je suis tombée (sacrées chaussures !) et j’ai un genou tout égratigné, mais ce n’est rien.

Il règne partout une atmosphère d’effroi vraiment délicieuse : on parle de faim, de pénurie, de guerre à venir, la vraie guerre, de pillages, de saccages, et pire encore ! En sera-t-il ainsi ? On essaye de rapporter à la maison le peu de provisions que l’on peut trouver. Quelles situations ! Il n’y a pas de mots pour les décrire. Tous les soirs, et pour être plus exacte, tout le temps, on tripote la radio pour avoir des nouvelles : Rome aux mains des uns ou des autres, ordres et contre-ordres, Milan en guerre, les Balkans, le point qui m’intéresse le plus, qui me fait écouter le souffle coupé les rares informations qu’ils nous donnent. Tirana résiste… voilà ce qu’ils disent !! Là-bas il y a la garnison italienne, l’état-major, et lui… que fait-il ? Aucun espoir de recevoir du courrier : interdiction formelle de correspondance privée, par ordre du commandement allemand, rien à faire !

Mais quelle tristesse. Ils rentrent tous désarmés, prostrés, fatigués, empreints d’un sentiment d’angoisse. Pauvres gars ! Il paraît que le gouvernement Badoglio s’est réfugié à Palerme3Le 25 juillet 1943, à la chute du fascisme, le maréchal Pietro Badoglio prend la direction du gouvernement. Il dirigera les gouvernements antifascistes successifs jusqu’à la libération de Rome en juin 1944. L’auteure fait référence à la « fugue » de Badoglio, du roi, de la cour et des hauts commandants, à l’aube du 9 septembre 1943, de Rome vers Brindisi, où ils trouvent la protection des Anglo-américains.. Est-ce possible qu’il nous ait jetés comme ça, dans cet épouvantable déshonneur ?? Qui sait où est la vérité !

Lundi, 13 septembre 1943, 18 heures

Journées toujours pleines de peur et d’angoisse. À la radio on entend à nouveau l’hymne fasciste, ils réapparaissent, un peu titubants pour reprendre le pouvoir à l’ombre de la protection allemande. Commandements allemands, ordres allemands, tout allemand. On commence à les regarder avec un peu de crainte. Des convois entiers de troupes passent et repassent, un vacarme assourdissant et continu dans toute la ville. Moi je suis nerveuse, tout me dérange. Ils m’ont arraché brutalement quelque chose du cœur. Pour moi le courrier c’était tout, je l’ai toujours attendu avec appréhension, et maintenant, plus rien. J’ai l’impression qu’il va apparaître d’un moment à l’autre. Je suis ici et je l’attends, il dirait « je peux entrer » d’une voix émue. Je ressens l’élan avec lequel je me jetterais dans ses bras, et l’émotion me serre la gorge. Courage ! Il ne faut pas se laisser abattre, peut-être qu’il lutte. Que Dieu le sauve, c’est là ma constante et ardente prière.

Mardi 14 septembre 1943, 16 heures

Aujourd’hui, en arrivant ici, beaucoup d’émotion quand on m’a dit que deux télégrammes étaient arrivés, j’aurais poussé moi-même l’ascenseur pour arriver en haut plus vite ! Maintenant, je suis ici, je n’arrive pas à déchiffrer exactement la date, mais l’un doit être du 1er, et l’autre du 4 septembre ; peu de mots, mais à ce moment-là, il n’était encore rien arrivé : « Ne t’inquiète pas. » Non, mon chéri, je ne m’inquiète pas pour moi, même si tout s’écroule, mais tellement pour toi ! Quand je pouvais t’écrire et que je te disais tout ce qui me passait par la tête, je me sentais tellement heureuse, et maintenant, plus que jamais, je comprends ce qu’était ce bonheur.

Désormais, je ne peux plus rien te dire, et cette souffrance est aggravée par toutes ces choses qui arriveront. Je lis et relis ces télégrammes, et je sens qu’après ceux-ci, qui sait quand arriveront les prochaines nouvelles.

Quelle peine…

Mercredi 15 septembre 1943, 18 heures

C’est l’heure de la fermeture, je me suis ennuyée comme jamais, je n’ai plus rien à lire, j’ai déjà lu tous ses livres à lui.

Demain, Ada vient, j’ai encore des modèles à faire, il y en a qui ont encore le courage de travailler. Moi je n’ai pas envie.

On dit que le Duce a été libéré de sa prison. Une prouesse, une légendaire prouesse des Allemands4Mussolini, au moment de la chute du fascisme, sur ordre du roi Vittorio Emanuele III, est arrêté et envoyé sur l’île de Ponza dans un premier temps, puis à Campo Imperatore, dans les Abruzzes, d’où il sera libéré le 12 septembre 1943 par l’armée allemande.. J’ai l’impression de vivre en plein dans un roman d’aventures. Pour le moment, on ne sait rien avec précision, mais le moment viendra où tout sera clair. On avait dit tellement de choses sur le Duce : qu’il était mort, qu’il était devenu fou, qu’il était ici, qu’il était là… jamais quelque chose de vrai ?! Bien sûr, ces grands Allemands savent ce qu’ils font, et s’ils l’ont libéré, c’est seulement pour le faire danser à leur guise.

Maintenant, je rentre. Je suis triste, moche, et vieille !!! Et pourtant, il y en a encore qui ont le courage de me regarder. Je n’en suis contente que pour lui, du moins quand il reviendra, il ne constatera pas le ravage. Pauvre vieille Mary…

Jeudi 16 septembre 1943, 19 heures

Ce matin, j’ai prié avec ferveur ma chère sainte Rita. Tous les jeudis, je communie. J’aimerais qu’elle exauce mon désir ardent d’avoir des nouvelles. Mais pour le moment, ce n’est vraiment pas possible. Et lui, il n’est pas revenu. Qui sait ce qu’il est en train de faire !! Quelle souffrance infinie. Peut-être que s’il entend tout ce que j’entends, il pensera qu’il y a de gros ennuis en vue pour moi aussi. Courage, on verra bien !

Aujourd’hui, nous avons travaillé.

Il paraît que le Duce a vraiment été libéré. On saura plus tard comment. Je ne suis jamais très pressée de tout savoir, parce que la vérité finit par éclater. Finalement, les Allemands ne sont pas le diable ; nous nous sommes habitués à les voir parmi nous, certains nous font de la peine : des gosses imberbes, éjectés de chez eux et de leur patrie, qu’une main de fer a assujettis. Pourquoi la véritable paix n’arrive-t-elle pas pour effacer toutes ces pages d’horreur ??

Vendredi 17 septembre 1943, 19 heures

C’est l’heure de la fermeture, il fait encore jour et on se croirait en plein été. Jamais comme cette année la saison sans cesse magnifique n’a été autant en contraste avec des événements si tragiques.

Je n’ai envie de rien faire, je travaille par force d’inertie. La guerre dans tout son développement et dans toute son horreur approche, et je ne sais rien de lui !! Salerno n’est pas encore tombée, mais il paraît que c’est pour bientôt ; de l’autre côté, ils avancent. Et qu’est-ce qui se passe là où il se trouve ?? Est-il encore là-bas ? Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ?? Un tas de questions me harcèlent, personne ne peut encore me répondre. Et le tourment continu, chaque jour plus aigu, chaque jour plus désespéré.

Le Duce a fait entendre sa voix. Une voix fatiguée, pas la voix impérieuse qui parlait aux foules touchées par la folie. Le pauvre homme. Pour lui aussi, ça doit être le chaos dans sa tête !

Samedi 18 septembre 1943, 19 heures

Mon angoisse pour lui augmente !! Un ordre du Duce est passé, il déclare que tous les officiers ne sont plus sous le serment prêté au roi. Qui sait ce que fera mon officier, s’il pouvait au moins avoir le temps de rentrer à la maison.

Ce soir, Mlle Aurelia5Cousine du compagnon, employée dans une usine de Milan, réfugiée à Florence à cause de la guerre [note de l’auteure]. m’a offert un beau livre, elle ne savait pas comment me remercier pour un petit chapeau que je lui ai fait. Le Sentier à travers les pierres 6 Titre original : « Il sentiero fra le pietre » [NdT]. doit être un beau livre, et j’en suis contente. Nous avons beaucoup parlé de lui et de ce qu’il doit être en train de faire, mon pauvre chéri ! Au moins, qu’il ne lui arrive rien de mal.

L’atmosphère autour de nous est fausse et décourageante. Les jeunes hommes qui rentrent ont quelque chose de tragique, et ils sont très préoccupés de leur sort ! Il y a dans l’air le spectre de la misère !

Le Duce est à nouveau à la tête du gouvernement : nouveau Gouvernement Fasciste Républicain, mais tout me semble faux, inutile, sans fondement7Après la libération de Campo Imperatore du 12 septembre 1943, Benito Mussolini reconstitue le Parti fasciste et la Milice volontaire pour la sécurité nationale ; il libère les officiers et soldats du serment prêté au roi, et fonde la République Sociale Italienne (RSI) de Salò.. Qui sait qui pourra faire sortir cette pauvre Italie de la ruine dans laquelle elle a sombré. On accuse continuellement Badoglio et le roi de haute trahison, mais où est la vérité ?

Attendons et que Dieu nous vienne en aide…

Dimanche 19 septembre 1943, 20 heures

Quand je commence à écrire ma petite page quotidienne, j’ai l’impression d’être en train de commencer une lettre adressée à lui, c’est tout juste si je n’écris pas d’abord l’expression habituelle « Mon cher Nando ». En fait, maintenant qu’on m’a empêché d’écrire, et que je ne reçois plus rien, c’est comme si c’étaient des lettres que je lui envoie et que c’était pour lui que j’écrivais.

Dimanches tristes, une atmosphère mélancolique, j’ai toujours l’angoisse et le désir croissants de le voir apparaître, je me mets à la fenêtre si je suis chez moi et ici je vis continuellement dans l’attente. J’attends quelque chose : un mot, une ligne, n’importe quel événement qui me parle de lui, mais mon attente est toujours déçue. On parle désormais d’une guerre qui nous emportera bientôt. Cette pensée est terrible, et la peur des alertes et des bombardements devient encore plus terrible qu’avant. Les alertes sont déjà très fréquentes, et avec elles, différentes formations d’engins nous bourdonnent au-dessus de la tête. Je me rappelle encore celle de jeudi dernier qui me surprit Piazza Savonarola alors que j’allais chez Maggini. Mon cœur a fait un bond, parce que ma mère était toute seule à la maison, j’ai couru jusqu’à la maison sans m’arrêter, et ça fait un bout, avec les avions qui voltigeaient dangereusement au-dessus de ma tête. Des émotions toujours croissantes de cet état de guerre.

Aujourd’hui, je suis allée au cinéma pour passer le temps. Une bêtise : La Femme est changeante 8En italien, La donna è mobile, film de 1942 de Mario Mattoli. . Quand je suis au cinéma, qui sait où j’ai la tête, et je n’arrête pas de me retourner pour voir si mon Nando arrive !

Quel cauchemar et quel tourment ! Qui sait si je sortirai de ces peines, et comment j’en sortirai !

Lundi 20 septembre 1943, 16 heures

Le travail touche à sa fin, chère Ada, tu dois rentrer chez toi. Ce qui est drôle, c’est que tout ce travail reste ici, et personne n’a plus envie de venir le chercher. Du temps, du matériel et du travail gaspillés.

18 janvier 1944

Depuis plusieurs jours, on est à nouveau dans le cauchemar des bombardements. La Toscane est un champ de bataille, et depuis samedi, on entend les détonations qui arrivent jusqu’à nous.

Comme ça fait peur de ne pas se sentir en sécurité dans sa propre maison ! Savoir que la mort est à deux pas de nous à chaque hurlement de sirène.

Aujourd’hui, une autre carte postale de lui, ça faisait un moment que je l’attendais. Mon pauvre chéri, il ne reçoit rien de ma part. Je voudrais qu’il sache à quel point je suis proche de lui, et dans quelle angoisse je passe mes journées.

19 janvier 1944

J’ai reçu une lettre de sa maman qui m’a fait pleurer de joie : elle me tutoie et elle me parle comme si j’étais sa fille.

Florence a été à nouveau bombardée, pas très gravement, mais dans la soirée, et la peur a été grande. Il paraît que toute la ville était éclairée comme en plein jour. Et lui, le sait-il ?

26 janvier 1944

La nouvelle situation de guerre me fait peur, et me donne même un sentiment d’effroi : ma préoccupation est égoïste, je pense que, s’ils arrivent à Florence, je serai à nouveau séparée de lui et de sa mère, sans aucun espoir de recevoir ces cartes postales qui me donnent force et espoir.

Ils sont près de Rome et ils la prendront, puis ce sera notre tour, et que Dieu nous bénisse, qu’il sauve au moins notre peau. Maintenant je dois rentrer à la maison, le ciel est beau, et j’ai peur des alertes.

24 juillet 1944

Après six mois d’interruption, je reprends l’écriture sur ce cahier qui me rappellera un jour les luttes, les amertumes, les émotions de cette période. Pourquoi je n’ai pas écrit ici ? Parce que je n’en ressentais nullement le besoin, grâce à une correspondance plus soutenue avec Milan, et avec lui, qui suffisait à remplir le vide de ma vie.

Aujourd’hui, comme je suis à nouveau coupée de Milan, et surtout, de lui avec la guerre aux portes de Florence, j’ai besoin d’écrire quelque chose, on ne sait jamais : je pourrais ne pas survivre aux événements, et alors il pourrait trouver ici, et pour toujours, mon amour et mon souvenir. Ce n’est pas que j’ai un pressentiment, je n’en ai aucun, mais on ne sait jamais. Je vais d’abord faire un bref résumé de ma vie, puis je parlerai des événements les plus marquants de ces six derniers mois. Les jours se sont tellement ressemblé qu’il suffit d’en décrire un pour les avoir tous décrits. Avant tout, l’obsession des alertes. Un printemps splendide comme Florence en a rarement connu, tourmenté par le cauchemar des bombardements. Les souvenirs les plus terribles : le 11 mars, le 23 mars, le 1er et le 2 mai. J’aurai le fracas de ces quatre jours dans les oreilles toute ma vie. Le 11 mars, le quartier de San Jacopino, et le Romito, situés tout près de chez moi, ont été détruits. Ce matin-là, j’étais chez moi, parce que ma sœur devait aller encaisser un chèque. À la première alerte, vers 11 heures, nous sommes descendues dans le refuge, on entendait les engins. Une vingtaine de minutes de silence passèrent, puis on entendit le bruit puissant des moteurs, comme le fracas de cent camions dans la maison. Ils tombèrent sur nous en un instant, et ce fut un vacarme infernal à trois reprises pour une durée de 5 ou 6 minutes chacune, qui semblaient être des siècles d’angoisse, et pendant lesquelles j’attendais d’un moment à l’autre de voir les murs de notre petit refuge se déchirer. Je tenais ma mère dans mes bras, et je priais la Madone qu’elle nous sauve. Nous avons été sauvés, mais quel massacre !

Le 23 mars, la zone de Campo di Marte fut particulièrement touchée, un massacre là-bas aussi. Cette fois-là, les premiers coups me surprirent alors que j’étais encore dans ma petite chambre. La fenêtre s’ouvrit en grand, et les murs, les sols, les escaliers tremblaient comme sous un coup violent.

Ce jour-là aussi le bombardement fut long et angoissant, surtout avec la préoccupation pour mes parents dont je ne savais pas quel sort leur était réservé. Ceux du 1er et du 2 mai furent tout aussi violents.

Le 1er eut lieu le matin, alors que je faisais des courses au marché (combien de fois je me suis promenée dans ce marché), aux premiers coups, je me réfugiai dans le refuge d’un petit hôtel de mauvaise réputation, le premier que je croisai. Qu’est-ce que ça peut bien faire ? Dans ces moments-là, il n’y a aucune distinction à faire. Ce jour-là, c’est la zone de Porta à Prato qui fut particulièrement touchée, et le jour suivant également9Prato, ville située à 20 kilomètres de Florence environ.. Il était alors 15 heures et je m’acheminais au beau milieu de l’alerte vers l’atelier en passant par Via Roma. En un instant, des engins au-dessus de ma tête et des bombes qui faisaient un vacarme de tous les diables. La plupart réagissent instinctivement en se jetant par terre, moi je fis une course désespérée jusqu’à la porte de chez moi. Là, parmi les visages devenus livides de peur, j’assistai à cette nouvelle succession de vacarmes, qui fut une des plus terribles. Jusqu’à maintenant, il n’y a plus eu de bombardement aussi violent, par contre, nous avons eu des alertes en continu de 7 heures du matin jusqu’à 19 heures, jusqu’à 7 ou 8 par jour, et comme ça tous les jours jusqu’à fin juin. Nous nous sommes réfugiées à chaque fois dans cette petite pièce, ici, nous nous sommes senties plus en sécurité, mais c’était un effort très éprouvant pour ma mère qui est si faible, et qui a besoin de calme et de repos.

Désormais, nous nous sommes plus ou moins habitués au canon qui vrombit des fois pendant toute le nuit, aux mines qui sautent ; c’est sûr, tout ça ne fait pas peur comme les engins qui volent au-dessus de nos têtes et qui peuvent en un instant nous enterrer sous les ruines de notre maison.

Puis, des événements dignes d’importance, je ne m’en rappelle pas beaucoup d’autres, toujours les mêmes choses, notre vie, les mêmes préoccupations, peu de travail, vie plus que difficile, des fois l’estomac léger à cause du manque de nourriture, des prix fous, et ces quelques pièces qui s’en vont, elles s’en vont à un rythme effrayant. Après la chute de Rome, la 4 juin10Le 4 juin 1944, l’armée alliée entre à Rome., la crainte de la guerre qui approche a commencé, et avec, l’obsession de mettre des provisions de côté, de la farine, surtout, puis des pommes de terre, qu’on n’arrive pas à trouver, des légumes secs, du pain grillé, de la confiture. Que des choses que je n’ai jamais pu lui envoyer, à lui, parce que je ne pouvais pas les trouver, et maintenant, forcément, on est contraints de les acheter à des prix exorbitants, en faisant de gros sacrifices, parce que le danger est à la porte, et c’est presque un devoir de ne pas penser à nous, mais à notre mère. Mais combien de soupirs, par contre : ne pas pouvoir acheter beaucoup faute d’argent, et regarder le cœur serré le peu de nourriture, et qui suffira à peine pour un mois, et qui coûte tout un patrimoine, toute ma sueur. Courage, le travail reprendra, il rentrera lui aussi, et on travaillera ensemble. Puis, au fur et à mesure que le danger s’approche, de nouvelles souffrances : plus de lettres de sa part, la dernière lettre du 30 avril, puis une carte postale destinée à Mori plutôt qu’à moi, parce qu’elle était pleine de recommandations à mon égard.

Désormais, je te parle comme si tu devais bientôt lire ces mots, et je sens dans mon cœur un doux espoir : pouvoir te parler comme ça ! Un jour, si je ne suis plus là, quand tu trouveras ce cahier, tu liras ces pages mal écrites, comme ça vient, mais sincères et spontanées, qui viennent du cœur, et peut-être que tu comprendras tout à fait ce que tu as été pour moi ! Quand tu liras, tu penseras aux journées que j’ai passées, où nous avons été si loin l’un de l’autre, séparés de tout.

Qui sait si tu es au courant qu’en ce moment, il y a des combats au sud de Florence, que la guerre est ici, et qu’on en entend déjà le vacarme. Tu le sais, ce qu’il se passe chez nous ? De toi, je sais juste qu’ils ont décidé de faire travailler les prisonniers en Allemagne, toi aussi, avec les autres ? Comme j’aimerais le savoir ! Et je sais, mon espoir ne tient qu’à un faible fil, que peut-être ce fléau peut cesser très bientôt ! Et toi, que sais-tu ? Peut-être quelques choses, et tu en imagines tant d’autres plus crues qu’elles ne le sont. Ici, il ne se passe pas de choses terrifiantes, Florence est une ville ouverte, peut-être qu’elle sera respectée et bien qu’on dirait une ville morte, il n’y a rien qui fasse peur, pour le moment. Le grondement des mines, ça oui, tout explose, mais pas en ville. La défense antiaérienne frappe, et les avions descendent pour mitrailler de plus près, mais toujours dans la périphérie. Mais vu de loin, entendre parler de Florence comme zone de guerre, ça doit faire une drôle d’impression. J’ai dans mon cœur les mots très affectueux de ta mère, maintenant que je suis en danger, elle s’inquiète pour moi, elle me considère comme sa fille, et elle espère et croit pouvoir, à ton retour, m’avoir vraiment comme fille. Je reçois, comme par miracle par les temps qui courent, une lettre d’Aurelia. Elle a été transférée à Milan depuis un mois, et cette lettre arrive par la Metallurgica11Il s’agit de la Société métallurgique italienne (SMI, Società Metallurgica Italiana), fondée à Florence en 1886., c’est comme ça que nous communiquons, tant que nous pouvons.

Elle me dit que le jour le plus heureux de sa vie sera quand elle pourra trinquer à notre repas de noces. Elle aussi !! Et toutes ces allusions me font venir une douleur sourde au cœur. Je sais que tu ne veux pas m’épouser, et qu’il n’y aura que des larmes pour moi. Comment faire pour supporter devant tes parents, devant ta mère en particulier, la grande humiliation d’être prise pour une simple petite amie !! Mais tu devras comprendre tout seul, parce que je ne te parlerai jamais de mes souffrances. Si seulement tu l’avais compris avant ce désastre, aujourd’hui je ne serais pas contrainte à travailler comme une désespérée pour gagner peu et mal, je vivrais avec tes parents, je travaillerais quand même, mais autrement. Ce sont des reproches que je te fais, tu les mérites, mais ce n’est pas pour autant que je t’aime moins, c’est juste que j’ai subi tellement d’humiliations, et la joie, même pendant tes courtes permissions, a toujours été pleine de ce venin : chambres d’hôtel, les garçons d’étage qui vous regardent comme si vous en étiez une, et qui disent « C’est toujours la même ? », comme c’est arrivé pendant ta dernière permission, et tu n’as jamais compris. À cause de tout cela, mon cœur est plein de rancune, et elle y restera, si tu ne veux pas comprendre.

28 août 1944

J’ai l’impression d’être en train de rêver : toujours ici, après tant de souffrance, tant d’événements, toujours ici, à ma table de travail, dans cette petite pièce que j’ai crue détruite pendant tant de temps.

Décrire les journées passées n’est pas une mince affaire, les longues journées de terreur et d’angoisses, et les nuits encore plus longues, pendant lesquelles il semblait qu’il était impossible de revoir l’aube. Je signalerai les journées les plus dignes d’intérêt. 3 août : premier jour critique12Le 3 août 1944, l’état d’urgence est déclaré. De violentes explosions réduisent en ruines les ponts, les routes et les immeubles autour du Ponte Vecchio.. Après avoir déjà entendu les premières batailles violentes pour la libération de Florence, voilà que le 3, dans l’après-midi, à 15 heures, l’état d’urgence est déclaré. Je me rappelle comme mon cœur battait quand je suis allée chercher l’eau de peur de ne plus pouvoir sortir, alors que les grondements lugubres du canon s’approchaient et qu’ils me glaçaient le sang. L’état d’urgence a duré 15 longues journées pendant lesquelles il est impossible de décrire à quel point on a souffert de peur, mais aussi de faim, puisqu’il n’y avait aucune distribution de nourriture. Les nuits, un cauchemar sans nom, sont passées, toutes similaires, sans même pouvoir se coucher, dominées par le grondement de la bataille et par le sifflement des projectiles qui passaient comme des fusées au-dessus de nos toits. La nuit la plus terrifiante a été quand notre maison a dû essuyer des rafales de mitraillettes. Et puis aussi les secousses violentes comme un tremblement de terre, les ponts qui ont sauté sur l’Arno, et celles encore plus violentes quand ils ont fait sauter les ponts sur le Mugnone13Affluent de l’Arno qui traverse la ville de Florence. Les ponts sur le Mugnone ont été minés par l’armée allemande qui les a fait sauter lorsqu’elle battait en retraite le 10 août 1944. et tellement d’heures de terreur dont je me souviens et que je ne saurais décrire, mais qui ne s’effaceront jamais de ma mémoire. Quand au matin du 18, on nous a dit que les derniers Allemands étaient partis, on a cru pouvoir respirer, mais après la fin de l’état d’urgence, la situation ne s’est pas améliorée, elle reste toujours dangereuse et épuisante. En ce moment même, le canon tire sans cesse et je sens des coups sourds dans ma tête. Je vais évoquer la nuit terrifiante du 18 au 19. À aucun moment de la guerre je n’ai éprouvé une telle peur. Nous avons été arrachées d’un sommeil dû à l’épuisement vers onze heures et demie par un vacarme énorme ; des coups de canon l’un derrière l’autre, sans arrêt, le bruit assourdissant du verre brisé et des tuiles qui pleuvaient de toutes parts. Je ne sais pas comment nous avons trouvé la force de descendre dans notre refuge, à moitié nues et tremblantes, quand j’ai descendu les escaliers, mes jambes tremblaient, je ne sais pas où j’ai trouvé cette force. Notre immeuble fut touché à deux endroits, sur la façade, et sur l’un des côtés, heureusement, aucune victime. J’écris là succinctement des faits qui demanderaient des pages et des pages, mais quand je relis ces quelques lignes, même dans vingt ans je me rappellerai ce que nous avons vécu. Et ce n’est pas encore fini.

Au matin du 19, alors qu’on s’apprêtait à quitter la maison – il fallait sortir de là notre pauvre mère tremblante pour la mettre en sécurité – nous vîmes apparaître, comme une vision, mon beau-frère, ce cher Corrado, dont on n’avait pas eu de nouvelles depuis 13 bons mois. Raconter notre émotion et surtout celle de ma sœur est inutile. Avec lui, nous nous sentîmes tout de suite plus en sécurité, et nous nous rendîmes au Collegio florentin14Un des collèges les plus réputés de Florence dont Corrado Corradini, parent du sénateur Enrico Corradini, ainsi que ses frères, étaient copropriétaires [note de l’auteure]., sur la Piazza della Vittoria. Mais là-bas aussi la sécurité était relative ; nous avons eu là-bas aussi une frayeur terrible et indescriptible le dimanche 20 au matin. Des coups de mortier n’ont pas cessé de s’abattre sur la ville pendant trois bonnes heures consécutives : près du Collegio et dans le jardin, il en tomba au moins 15. À tel point, que le 22 au matin, nous avons décidé de venir dans le centre, bien que ici aussi, les coups arrivent sans faire trop de manières. À présent, nous sommes chez notre tante. Vie mesquine pleine de sacrifices, loger chez les autres, dormir tout habillés, faire de longues heures de queue pour un chou ou un kilo de poires dures comme du bois, remonter durement l’eau pour les besoins journaliers, manger peu et mal, sentir dans l’estomac le vide, dans le cœur le froid, et tout autour de soi, désolation et ruines. Et ce n’est pas encore fini, les coups de canon sont tellement forts et proches, qu’à chaque fois, je sursaute. J’ai la tête vide, je ne sais plus prier, je ne sais plus penser, je voudrais que le canon se taise, et c’est tout15Florence est libérée le 11 août 1944.. Je me suis mise à la fenêtre, il y a une animation inhabituelle dans Florence : les boutiques sont moitié ouvertes, moitié fermées, les places pleines de véhicules de l’armée alliée, les routes pleines de soldats qui enjambent sur les ruines de Por Santa Maria16Rue dans le centre-ville de Florence, avec des édifices anciens minés et rasés par l’armée allemande.. Quel pincement au cœur quand je la vis la première fois, et comme je me suis préoccupée pour cette petite pièce, mais Jésus me l’a sauvée. Qui sait si nous allons survivre jusqu’à la fin, qui sait si je reverrai mon cher et tendre, qui sait ce qu’il sait de l’Italie, qui sait ce qu’il pense. Mes pensées le cherchent à chaque instant, et maintenant plus que jamais, je le voudrais ici.

18 septembre 1944

Le canon se tait depuis une dizaine de jours, et le 13 de ce mois-ci, nous sommes enfin rentrés chez nous après une absence d’une vingtaine de jours environ. À ce moment précis, l’électricité est revenue. Dieu soit loué ! Certaines de nos belles et saintes commodités détruites recommencent à fonctionner. J’ai recommencé à travailler, mais ce travail ne me plaît pas, qui sait comment ça va se passer ! Je n’en suis pas satisfaite.

26 octobre 1944

Comme je l’avais pensé, le travail n’a pas marché. C’est dommage parce que c’était une source de revenu qui en ce moment tombait à pic. J’ai été obligée de vendre l’appareil photographique. Une vraie douleur, mais c’était le seul objet qui pouvait me rapporter une belle petite somme, indispensable pour faire les courses en cette période de folie. On a l’impression d’être dans un monde de fous : tout se paye en billets de mille. Une réparation de chaussures coûte 400 lires, les bas ne se trouvent pas à moins de 400 lires, des tissus miteux à 500 lires le mètre. Quant aux aliments, c’est un miracle si on peut faire face. On parle de farine de maïs à 80 lires le kg, d’huile à 2 300 lires la fiasque. Le charbon qui est en ce moment indispensable, ils ont le courage de le vendre jusqu’à 35 lires le kg. L’argent s’envole, le travail est bloqué, les clients ne payent pas.

J’essaye de ne pas trop penser à lui pour ne pas devenir folle. Je prie sainte Rita. Ce matin, je n’ai pas pu communier parce que je suis restée deux heures et quart à faire la queue pour prendre un kg de patates. Ce n’est pas possible ! Et cette solitude me pèse toujours plus.

  • 1. Florence est sous l’occupation de l’armée allemande le 11 septembre 1943.
  • 2. Maria Alemanno indique avec l’adverbe « ici » le lieu où elle se trouve (l’atelier) chaque fois qu’elle écrit son journal.
  • 3. Le 25 juillet 1943, à la chute du fascisme, le maréchal Pietro Badoglio prend la direction du gouvernement. Il dirigera les gouvernements antifascistes successifs jusqu’à la libération de Rome en juin 1944. L’auteure fait référence à la « fugue » de Badoglio, du roi, de la cour et des hauts commandants, à l’aube du 9 septembre 1943, de Rome vers Brindisi, où ils trouvent la protection des Anglo-américains.
  • 4. Mussolini, au moment de la chute du fascisme, sur ordre du roi Vittorio Emanuele III, est arrêté et envoyé sur l’île de Ponza dans un premier temps, puis à Campo Imperatore, dans les Abruzzes, d’où il sera libéré le 12 septembre 1943 par l’armée allemande.
  • 5. Cousine du compagnon, employée dans une usine de Milan, réfugiée à Florence à cause de la guerre [note de l’auteure].
  • 6. Titre original : « Il sentiero fra le pietre » [NdT].
  • 7. Après la libération de Campo Imperatore du 12 septembre 1943, Benito Mussolini reconstitue le Parti fasciste et la Milice volontaire pour la sécurité nationale ; il libère les officiers et soldats du serment prêté au roi, et fonde la République Sociale Italienne (RSI) de Salò.
  • 8. En italien, La donna è mobile, film de 1942 de Mario Mattoli.
  • 9. Prato, ville située à 20 kilomètres de Florence environ.
  • 10. Le 4 juin 1944, l’armée alliée entre à Rome.
  • 11. Il s’agit de la Société métallurgique italienne (SMI, Società Metallurgica Italiana), fondée à Florence en 1886.
  • 12. Le 3 août 1944, l’état d’urgence est déclaré. De violentes explosions réduisent en ruines les ponts, les routes et les immeubles autour du Ponte Vecchio.
  • 13. Affluent de l’Arno qui traverse la ville de Florence. Les ponts sur le Mugnone ont été minés par l’armée allemande qui les a fait sauter lorsqu’elle battait en retraite le 10 août 1944.
  • 14. Un des collèges les plus réputés de Florence dont Corrado Corradini, parent du sénateur Enrico Corradini, ainsi que ses frères, étaient copropriétaires [note de l’auteure].
  • 15. Florence est libérée le 11 août 1944.
  • 16. Rue dans le centre-ville de Florence, avec des édifices anciens minés et rasés par l’armée allemande.
Numéro d'archivage:
  • Numéro: XX003
  • Lieu: Archivio Diaristico Nazionale di Pieve Santo Stefano, Arezzo, Toscane
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